La légende du chien noir

Histoire en Famenne

 Chaque village, chaque hameau possède ses contes, ses histoires et ses légendes.  Dans la vieille commune de Grandhan, la légende du chien noir est régulièrement racontée.  Elle contient sa part de romance mais également sa part de vérité. 

Il y a une vingtaine d’années, Lucien, un ancien du village de Grandhan a trouvé, dans le vieux grenier familial, des documents qui l’ont grandement étonné.  Ceux-ci racontent en partie la vie d’Irène.  Irène est née au moulin « du Marteau » à Petithan dans la première partie du 19ème siècle.  Son papa, Guillaume Du marteau est originaire de Laneuville sous Huy.  Il reçoit une éducation remplie de connaissances.   ‘Guillaume du Marteau vient s’établir sur la rive gauche de la rivière. Une forge est fondée sur le hameau qui porte son nom : le Marteau.  Il fait élever une digue pour retenir les eaux dans la vallée et se ménage un vaste étang entre les villages de Grandhan et Petithan.  Il a ainsi une réserve d’eau, pour alimenter sa force motrice aux époques de grande sécheresse.’ (1)  Sa Réalisation est très moderne pour l’époque. Ses connaissances scientifiques améliorent la production du moulin le rendant ainsi beaucoup plus efficace que les autres construits de manière traditionnelle.

Fier de sa réussite, il passe sa vie à partager son expérience avec les autochtones.  Ces derniers reconnaissent difficilement ses compétences.  De nombreux villageois le trouvent farfelu et original. Guillaume n’est pas reconnu pour ses inventions.  Il souffre de ne pas pouvoir les partager avec ses contemporains.  Il perd l’enthousiasme et meurt aigri par la situation.
Irène, sa fille n’hérite pas de biens car toute la fortune paternelle s’évapore dans la réalisation du moulin.    

A la mort de Guillaume, le moulin est acheté par un notable du village.  Les techniques de fonctionnement du moulin sont tout à coup mises en avant.  Le moulin devient une référence dans la région.  Les moulins construit par la suite s’inspirent du fameux « moulin Le Marteau ».

C’est dans ce contexte que grandit Irène.  C’est une jeune femme libre et indépendante.  La succession de son papa se définit par ces quelques mots : « Au cœur de la nature, ma fille, tu trouveras toujours ton bonheur et tout ce dont tu as besoin.  Regarde avec tes yeux d’enfant, tout s’y trouve ! »

 

(1) Extrait de “Histoire, contes , llégendes du Pays de Durbuy: Grandhan”  Edité en 1980

Irène est une contemplative, elle regarde, elle observe tout et tout le temps.  Elle a acquis un grand savoir dans la nature.  Les connaissances scientifiques enseignées par son papa viennent compléter toutes ses observations.  Elle arrive ainsi à concocter toutes sortes de remèdes. La terre et les bois de la Famenne sont ses matières premières.  Ses lotions médicinales viennent aux secours des villageois.  Certaines femmes viennent chercher auprès d’elle conseils et écoute.  La sagesse d’Irène est de plus en plus reconnue.  Certains admirent son ouverture d’esprit.  D’autres en ont peur et ne se gênent pas pour l’affirmer publiquement. 

Lors de l’été 1835, la comète de Halley fait son apparition.  Irène avertit le village que la soirée sera magnifique.  Forte de ses connaissances scientifiques, Irène sait que la comète va illuminer le ciel. Elle passe tous les 72 ans.  Il n’y a qu’une chance sur une vie pour la voir.  Son enthousiasme est tellement débordant qu’elle annonce sa venue à toutes les personnes qu’elle rencontre.

Ce soir-là, Irène passe toute la nuit couchée dans l’herbe à contempler le ciel.  Quand la comète apparaît, Irène en a les larmes aux yeux.  La nuit est douce, le sommeil enivrant.

Le lendemain Irène va chercher de l’eau à la fontaine. Elle entend à demi-mot : « c’est une SORCIERE, elle fait apparaitre des éclats dans le ciel ».  La première réaction d’Irène est d’en sourire.  L’année passe tout naturellement, elle entend certaines personnes l’appeler « La SORCIERE » mais elle n’y prête guère d’attention.

Un jour, un cirque s’installe dans la région.  Quelques saltimbanques divertissent la population en proposant des représentations plus ou moins réussies.  Un vieux clown et son chien présente un spectacle le soir.  Subitement, le chien est pris de coliques. Il se tord de douleur.  On renseigne Irène au vieux Clown. Il accourt auprès d’elle lui demandant de soigner pour son chien.

-Je vais garder votre chien deux ou trois jours afin de lui donner les meilleurs remèdes possibles.

Le vieux clown retourne seul à son spectacle qui fut pour lui le dernier. Il mourut sur scène.  Ce fut, parait-il, ce qu’il avait toujours souhaité.

La troupe quitte la région sans s’inquiéter du sort du chien.

Irène soigne le chien avec une grande bienveillance.  Cette bienveillance fait partie de la guérison de tous les malades pris en charge par Irène.

Le chien est grand, très grand ! Il a la taille d’un enfant de huit ans, il est tout noir, d’un noir terrifiant pour quiconque le rencontre pour la première fois. Ses yeux sont si luisants qu’ils brillent en pleine journée.  Ses poils sont longs et légers. A chaque pas, le grand chien noir prend du volume tel le crapaud croassant.

Mais ce qui caractérise le plus le grand chien noir, c’est sa douceur, sa gentillesse, sa reconnaissance.  Au fil du temps, Irène et le grand chien noir lient une belle relation d’attachement.

 

Un jour de novembre, le curé du village fait sa promenade du soir.  C’est un jour de pleine lune, il se dirige vers le lieu-dit du « li vévî Guem » où habite Irène.  Monsieur le curé passe par le sentier, il regarde sur les hauteurs et est pris de panique. Le grand chien noir est face à lui, ses yeux brillent de mille feux. La pleine lune accentue le phénomène.  Le vent donne au grand chien noir une impression d’immensité.  La panique est si grande que monsieur le curé court à pleines jambes en hurlant et vociférant que le diable est à ses trousses.  Tout le village est réveillé par ses cris.  « Si monsieur le curé a une telle réaction, c’est que la fin du monde est proche » annoncent certains villageois.

 

Le lendemain ‘jour de messe’ monsieur le curé fait son sermon.  Il annonce à ses paroissiens que le diable est au village. Il faut le bannir. La peur est grande, les esprits s’échauffent.

-C’est la sorcière ! dit l’un.

-C’est elle qui est la source de tous nos malheurs ! dit l’autre.

La peur s’installe petit à petit dans le village.  Lorsque le soir tombe, plus personne ne sort de sa chaumière.  Aller ‘al cise’ (à la soirée) seul divertissement durant les longues soirées d’hiver est proscrit.

Irène n’est plus la bienvenue dans le village ; ce qu’elle est fait peur.

Des battues sont organisées, en plein jour bien sûr, pour trouver et éliminer ce grand chien noir.

Irène, qui a entendu parler des derniers évènements, cache le grand chien noir au fond de sa chaumière.  Elle connait la nature humaine, elle sait que la raison n’est pas un argument qui fait le poids quand l’émotion est à ce point importante.

Les saisons passent mais la peur reste présente. Les enfants sont éduqués avec la crainte du grand chien noir.  Irène vit recluse dans sa chaumière avec son fidèle compagnon.  Elle est assez indifférente par rapport à tout ce qui se raconte dans le village. Elle sait que de vivre hors des convenances traditionnelles a un prix et elle le paye.

Elle se rappelle les mots doux de son papa « Au cœur de la nature, tu trouveras toujours ton bonheur ».  C’est là qu’elle le trouve. Son cœur se remplit d’émerveillement.  Le vent qui caresse une feuille, l’écho de la rivière berçant ses oreilles, les odeurs de la forêt sont tant de moments insignifiants mais tellement nourrissants pour Irène.

 

Les femmes courageuses du village continuent de venir voir Irène.  Elles reconnaissent ses compétences et ont besoin de ses remèdes.  Elles doivent venir en cachette pour ne pas recevoir les foudres de Monsieur le Curé et de ses acolytes.  Ces dames doivent prendre toute une série de précautions pour ne pas être vue allant en direction du « vévi gamè ».

 

Un jour, la sortie de la messe, l’une d’elles prend la parole dans une petit cercle restreint :

-Mesdames, vous n’en n’avez pas marre de vous cacher pour aller chez cette brave Irène, nous savons que chacune d’entre nous va à sa rencontre pour disposer de ses remèdes.

Elles acquiescent toutes par un petit signe de la tête.

-Ecoutez moi, j’ai une idée….

Un plan machiavélique se construit à messe basse.

 

Le cœur du village de Grandhan est un grand étang qui s’assèche quand l’été se prolonge.  Ce dernier est long et chaud. 

Un beau matin, les courageuses du village sèment quelques paroles tout au long de leurs rencontres.  Un vent de ragots parcourt le village. Il se dit que la sorcière Irène veut protéger le village.  Elle promet qu’avant la prochaine pleine lune, le grand chien noir aura disparu.

Un jour à l’aube, une courageuse sortant à de sa chaumière se met à crier.

-Le chien noir est dans l’étang, LE CHIEN NOIR EST DANS L’ETANG !

D’autres courageuses qui étaient dans la confidence reprennent de plus belle : le chien noir est dans l’étang !

Tout le village se retrouve très rapidement aux abords de l’étang presque asséché.  On y aperçoit ce qui ressemble à une énorme et horrible bête sortant à peine de l’eau.  

 

Une voix forte et solennelle annonce :

-Le diable est mort, le grand chien noir doit être enseveli dans les entrailles du village, il faut que l’étang devienne sa tombe.

La courageuse qui avait pris la parole est de suite soutenue par l’ensemble du village. Chevaux, bœufs et chariots sont attelés.  Tous prennent la direction du château.  Hommes, femmes et enfants se mettent à la tâche.

 

Les tombereaux d’argile et de pierre sont remplis pour reboucher l’étang.  Tous travaillent durant trois jours et trois nuits.

Au bout des trois jours, une grande fête est organisée.  Irène est l’invitée d’honneur.  Le village veut la remercier.  La peur a quitté le village et l’unité est présente plus que jamais.

La paix retrouvée, les courageuses du village expliquent à Irène leur savant projet.  Elles ont trouvé dans les bois un grand gibier méconnaissable en état de décomposition.  Poussées par un grand courage, elles l’ont transporté au cœur de l’étang ne laissant plus apparaitre qu’une partie de son corps.  La joie de trouver la bête morte ne poussa personne à en vérifier l’identité.  Le tour était joué !

 

C’est ainsi que se termine le récit découvert par Lucien l’arrière-arrière-arrière-petit-fils d’Iréne.  Irène laissa derrière elle un journal dans lequel tout ceci fut raconté.  Elle repose dans le village.  Il se dit que le grand chien noir continue de veiller sur elle et sur les habitants du village…

 

Delfosse Emmanuël

 

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